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Tout le monde est gagnant, quand on coopère...

(Allocution prononcée lors de la soirée bénéfice des Fêtes gourmandes, octobre 2019 )


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Je vais partager avec vous quelques réflexions sur la nourriture, sur la production de nourriture et sur la coopération.


L’autre jour, dans un magazine français, il y avait un article qui parlait de la smart food, comme ils disent en France, et qui est, semble-t-il, la nouvelle tendance. (En français : alimentation optimisée et intelligente !!!)


On parlait des produits de marque Feed, produits en Californie et exportés en France, mais il y en a plus d’une sorte. Ce qui a attiré mon attention : La « promesse clients » des fabricants, c’est de compresser votre heure de dîner pour vous libérer du temps.


C’est simple : on vous propose un petit sachet de poudre que n’avez qu’à dissoudre dans de l’eau. En sous-entendu : manger, c’est une perte de temps. (On est loin des Fêtes gourmandes !!!)


Est-ce que c’est une vraie tendance qui va durer? Difficile à dire mais notre rythme de vie est devenu tellement rapide de nos jours… que déjà, surtout à l’heure du midi, de plus en plus de gens ne s’arrêtent plus pour manger. On reste à son bureau et on continue à pitonner, ou on accroche quelque chose sur le pouce et on mange en marchant.


Peut-être qu’il faudrait se rappeler et se redire que s’alimenter, c’est tellement, tellement plus que de se mettre du carburant dans le système !


En fait, quand on prend le temps d’y réfléchir, on réalise que partager de la nourriture en compagnie de sa famille, de ses amis, c’est profondément ancré dans notre psyché collective d’humains. Depuis la nuit des temps! C’est même un acte fondateur de notre humanité.

Il y a très longtemps, quand on chassait ensemble les mammouths… après la chasse, il fallait gérer le stock de viande, il fallait l’apprêter, il fallait la partager avec les siens.


Il y a donc tout un tissu social qui a commencé à se former autour de l’alimentation, et ce tissu social a pris au fil du temps une dimension culturelle, laquelle a créé des appartenances, des ancrages, des solidarités. Partager de la nourriture avec son monde, c’est beaucoup ce qui nous a façonné, en tant qu’humains et qui a déterminé notre sociabilité.


Alors manger ce n’est pas seulement une question de besoin biologique, ça répond aussi à toutes sortes de besoins sociaux… et même politiques et économiques : on se rappellera que, tout au long de notre histoire, c’est très souvent autour d’un repas qu’ont été conclus les ententes, les partenariats, les accords commerciaux.


Donc manger, c’est sérieux. Il faut prendre le temps et le faire en bonne compagnie. C’est d’ailleurs une recommandation de Santé Canada. Alors mettons-y un peu de décorum, célébrons et organisons des fêtes gourmandes! C’est plein de bon sens!


Ceci étant dit, ça prend des gens qui la produisent, cette nourriture. Je parle bien sûr des agriculteurs. – pas les gens en chemise blanche qui fabriquent de la smart food !!! (Tous les nutritionnistes nous recommandent de choisir des aliments les moins transformés possible, alors pour moi c’est clair que l’agriculture de synthèse n’est pas un bon choix.)


Je reviens donc à l’agriculture… naturelle? Traditionnelle? Disons : la vraie agriculture.

Je n’ai jamais eu de ferme. Mais j’ai côtoyé assez d’agriculteurs-trices dans ma vie que je sais combien travailler avec du vivant, c’est complexe. Et c’est risqué. Et ça le sera de plus en plus, avec les changements climatiques. Les saisons ne sont plus pareilles, les ravageurs ne sont plus les mêmes. C’est un de plus beaux métiers du monde, certainement, mais c’est un métier lourd à porter, qui comporte beaucoup d’incertitude, ça prend les nerfs solides. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens-là.


En plus de gérer du vivant, ils sont aussi des gardiens d’un patrimoine et d’un territoire. En fait, l’agriculture, tout comme l’alimentation, a une fonction qui est multidimensionnelle : il ne s’agit pas juste de produire de la nourriture, mais aussi d’entretenir des paysages, de valoriser des terroirs, de dynamiser des régions, de colorer des cultures.


Mais soyons clairs, la grande majorité des consommateurs sont bien loin de l’agriculture, aujourd’hui : d’abord, avec 80% de la population dans les villes, l’agriculture n’est plus visible, si ce n’est que par quelques émissions de télé; il y a une immense déconnection des gens, aujourd’hui, avec la source de leurs aliments.


Et pourtant, même si on est déconnectés de l’agriculture, dans les supermarchés, en ville, on a une avalanche de produits qui viennent… de partout dans le monde. On se trouve bien évolués avec tout ça mais, en réalité, on baigne dans la confusion. Trop, c’est comme pas assez. Trop de choix, ce n’est pas sain. Un livre a été écrit sous le titre : « La tyrannie du choix! » -En effet, ça peut devenir très anxiogène, d’avoir trop de choix. D’ailleurs, est-ce qu’on a vraiment besoin de toutes les déclinaisons de produits qu’on nous propose ?


Parce que, dans les faits, le prix qu’on paie au supermarché ne reflète jamais tous les coûts réels – il y a des coûts environnementaux et des coûts sociaux qu’on finit tous par payer, de différentes façons, tôt ou tard, parce qu’on n’a peut-être pas fait les meilleurs choix dans nos achats quotidiens.


Nos aliments voyagent en moyenne plus de 2000 Km pour se rendre à nos assiettes (dans la Terre de Chez Nous, la semaine dernière : 3000 à 5000 km pour nos fruits et légumes). Si on consolidait tous les coûts, incluant les externalités, on se rendrait vite compte que :

beaucoup de nos choix ne sont pas rationnels / que le km alimentaire, ça pollue beaucoup /que la valeur nutritive des aliments qui voyagent bcp s’en trouve diminuée / qu’il y beaucoup de gaspillage en cours de route (la FAO estime à 14% la part des aliments qui se perdent entre la ferme et le supermarché.)


C’est sans compter qu’il faut suremballer, pour que ça soit encore présentable au point d’arrivée / Et on ne parle même pas de la traçabilité qui devient bien plus compliquée, qui coûte pas mal plus cher... et devient de plus en plus douteuse.


Clairement, on a avantage à privilégier les circuits courts. Une agriculture de proximité, dont les produits sont distribués rapidement ou transformés dans la région, achetés par les gens de la place, c’est ça l’idéal.


On s’entend qu’on ne pourra jamais prétendre à l’autosuffisance. On aura toujours besoin d’une agriculture de grande échelle et de l’importation de certains produits- c’est une question de sécurité alimentaire. Mais on peut peut-être se contenter de moins et convenir que l’accès à tout, en tout temps, est une illusion. Ce n’est pas durable.


Et ce n’est même pas toujours bon. Les fraises au mois de janvier, disons que c’est plus un ravissement pour les yeux que pour les papilles gustatives. Quand on mange des fraises du Québec, là, on sait que c’est le temps des fraises, parce que ça goûte les fraises!


L’achat local est un geste politique. Acheter, c’est donner son appui à quelqu’un, quelque part, plutôt qu’à un autre, ailleurs. Important de comprendre l’impact de nos choix. Nous sommes tous et toutes des acteurs de l’agroalimentaire, et nous avons des responsabilités à cet égard.

Savez-vous qu’on voit maintenant apparaître, au Québec, ce qu’on appelle des « déserts alimentaires », des zones géographiques où on n’a plus de commerce d’alimentation si ce n’est un dépanneur qui offre des oignons, des carottes molles et des bananes vertes.


On ne va pas loin avec ça. Avant, on voyait des déserts alimentaires seulement dans certains quartiers défavorisés des ÉU mais, au Québec, selon une étude de l’Institut national de la santé publique, on considère que 13,1 % de la population rurale peut désormais être considérée comme habitant dans un désert alimentaire.


Posons-nous la question : Quel genre de milieu de vie veut-on se donner ?


Dans un billet que j’écrivais dans Le Coopérateur en mars 2003, je vantais mon quartier : ma petite épicerie avec un boucher au bout de la rue, mes cours de tai-chi à distance de marche et je m’inquiétais d’une étude qui venait de sortir, selon laquelle les achats à l’extérieur, à la recherche de plus bas prix, coûtaient une fortune en ventes pour les marchands locaux, mais aussi en emplois et en déclin de la communauté… Eh bien démonstration a été faite : plus d’épicerie et encore moins de boucher au bout de ma rue, ni de cours de tai-chi à distance de marche.


Ce n’est qu’un exemple. Mais ça illustre le fait qu’il y a une foule de services de proximité qui contribuent à la qualité de vie et qui sont soutenus par l’achat local.


Soyons bien conscients que la meilleure affaire possible n’est pas toujours celle que l’on pense: On dit que les multinationales qui viennent s’établir dans une localité y retournent en moyenne 15% de leurs revenus, tandis que les entreprises locales y retournent 45%. Il me semble que ça nous éclaire sur le bon choix à faire.


Dans le meilleur des mondes, le consommateur pourrait aller directement à la ferme mais ce n’est pas réaliste… Ce n’est pas tout le monde qui peut se rendre à chacune des fermes pour aller chercher, ici, sa viande, là, son lait… En 2019, ce n’est pas comme ça que ça marche. Aussi, pour faciliter le circuit court, pour faire la boucle, ça prend des distributeurs et des détaillants qui vont offrir les produits locaux, ça prend des restaurateurs qui vont les servir à leurs clients, des transformateurs qui vont prolonger la vie de ces produits-là.


Ça prend les gens du marketing aussi. Les produits locaux, il faut pouvoir les identifier. Et ici je tiens à féliciter la région du SLST pour le concept de Zone Boréale. Dès le début, quand j’ai entendu parler du lait nordique bio de Nutrinor, j’avais dit à Jean Lavoie qui était président de Nutrinor combien je trouvais ce positionnement intelligent. Vous avez trouvé là quelque chose de recherché et d’inimitable.


On n’a qu’à regarder ce que font les multinationales pour se donner un petit air local : la publicité de Mc Donald à la télévision, par exemple… on essaie de nous faire croire que Mc Donald est un agriculteur!


Pas étonnant. J’étais au congrès de l’OAQ, au début du mois et un conférencier a dit: En 2012, 36% des gens ne faisaient pas aux grandes marques, et aujourd’hui, c’est 55%. Plusieurs conférenciers sont venus parler de ce que recherche le consommateur aujourd’hui et le mot clé, qui revenait tout le temps : authenticité.

« A beau mentir qui vient de loin! » Le meilleur gage d’authenticité, c’est vraiment le local.

On a donc tous intérêt à soutenir une agriculture locale, diversifiée et durable. Exercée par des agriculteurs enracinés dans leur terroir.


Parce que si l’agriculture va bien, la collectivité est solide. L’agriculture est structurante. C’est l’agriculture qui a permis à l’homme nomade de prendre racine.


Et vous savez quoi? Quand tous les intervenants d’un système agro-alimentaire d’une région : producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs travaillent ensemble, ça devient un cercle vertueux : leur proximité crée une cohésion qui les ramène sous une appartenance commune et les liens entre eux sont renforcés de plus en plus, au fil du temps. Et ça, ça donne une communauté forte, bien vivante, « tissé serrée ».


Ça procure du dynamisme, de la qualité de vie et de la résilience dans la collectivité. Et ça c’est important.

Notre monde est en profonde mutation. On a plusieurs défis à relever : défis environnementaux, défis d’inégalités croissantes, défis de démocratie fragilisée… Ce sont des défis qu’on devra tous relever ensemble. Car bien plus que les technologies ou les investissements massifs, ce sont les gens eux-mêmes qui deviennent la solution lorsqu’ils décident d’agir ensemble, de coopérer dans un but commun.


Les économistes reconnaissent aujourd’hui les failles du système capitaliste. Certains disent qu’il faut le réparer. D’autres, de plus en plus nombreux, estiment que le système capitaliste actuel n’est plus viable, qu’il faut plutôt en sortir, que l’économie doit s’exercer au sein d’une logique plus globale, plus humaine : une logique communautaire, qui s’intéresse aux gens sur qui elle agit. Parce que l’économie devrait, avant tout, être au service des gens.


Et pour atteindre ce but, la meilleure façon d'allouer les ressources dans une société démocratique, ce n’est pas de s’en remettre à la main invisible censée gouverner les marchés, mais ça repose plutôt sur un consensus qui émerge d’échanges avec toutes les parties concernées.


Et à cet égard, l’économie coopérative a fait ses preuves. Elle a cette capacité à intégrer des dimensions non marchandes. Elle offre cette logique communautaire, cet ancrage dans le milieu, ce partage équitable de la richesse, cet engagement envers la démocratie.

Les coopératives se développent par concertation, en permettant aux gens de canaliser leurs intérêts communs pour créer du lien social et de nouvelles sources de solidarité.

Les coopératives sont porteuses d’une forte culture éthique. Elles ont un code d’éthique intégré, non négociable et très clair où l’équité, la solidarité et la responsabilité sont mis à l’honneur.


Est-ce que ce n’est pas exactement ce à quoi on aspire ?


Et moi, ce qui me rend optimiste, c’est que les jeunes générations s’y intéressent de plus en plus. Ils appellent ça de l’économie collaborative, de l’économie de partage – bon ils mettent tout ça dans le même paquet et parfois ça devient n’importe quoi, il va falloir bien préciser les modèles- mais on sent qu’il y a un appétit, un engouement pour une autre économie, plus sociale.

On a beaucoup trop valorisé la compétition, dans le passé. On a utilisé Darwin et sa théorie de la sélection naturelle pour le faire, mais on a occulté tout un pan des travaux de Darwin qui a aussi observé abondamment de comportements coopératifs dans la nature. En fait, il est maintenant établi que la coopération a été un avantage évolutif chez l’Homme et que les cultures qui n’ont pas su coopérer n’ont pas été aussi efficaces et sont disparues.


En bonus, l’acte de coopérer procure du plaisir. On a prouvé, à l’université d’Emory à Atlanta, grâce à l’imagerie magnétique, que l’acte de coopérer stimule dans le cerveau des régions associées au plaisir – plus précisément, le striatum, qui est le siège de la jouissance à l’état pur! Pourquoi s’en priver?


Et bonne nouvelle : les coopératives n’ont pas le monopole de la coopération. Si j’aime tant les coopératives, c’est parce qu’elles sont un véhicule de coopération; c’est une structure d’entreprise qui facilite la coopération. Mais on s’entend qu’il y a beaucoup de gens et de petites entreprises non coopératives qui se comportent de façon très coopérative. La coopération, c’est à la portée de tous!


Je vais conclure avec un clin d’œil à Gaston Michaud. Travailleur social, pilier dans la revitalisation de la petite municipalité de Racine, en Estrie, il a écrit La lumière de la terre, un excellent petit guide pour l’action communautaire. Et il propose 7 clés pour un développement communautaire réussi :

  • valorisation des aptitudes des personnes en présence,

  • construction d’une mémoire collective,

  • développement de rituels festifs,

  • prise de décision le plus près de l’exécution,

  • l’accès à des lieux d’échange,

  • communication transparente et

  • recours à ses propres moyens avant toute demande d’aide externe.

Pour moi, tout est là.


Il suffit juste, maintenant, de prendre conscience que la prospérité de nos régions repose plus que jamais sur une prise en charge collective du lien social. Et qu’il faut l’entretenir, ce lien social.


Je conclus donc en vous disant : Engagez-vous dans votre communauté, travaillez en équipe, reconnaissez les compétences des autres et offrez les vôtres.


Coopérez au sein des Fêtes gourmandes mais aussi à toutes les autres occasions qui se présentent. Tout le monde est gagnant, quand on coopère.




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